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ROMAN

L'INCENDIE DE L'EDEN HOTEL
Deux tomes en un volume

Bernard Novet publie son premier roman chez Rosso Éditions. Une grande histoire d'amour doublée d'un voyage initiatique.

Découvrez Londres et l'Écosse comme vous ne les avez jamais lus.

Entre amitiés et passions vertigineuses, créations et trahisons, plongez dans l'histoire extraordinaire et tragique, lumineuse et foisonnante, d'un auteur exceptionnel du XIXe...

La lointaine île d’Islay, à la fin de l’ère victorienne.
Le monde
d’Oscar Wilde, de Dickens, Turner et Elgar s’éteint.
Mais le feu des romantiques brûle toujours!
Sentant ses forces décliner, un vieil homme taciturne
, à la peau rongée d'étranges cicatrices, cède ses mémoires à Brendan Philips, un journaliste anglais de passage.
Ces manuscrits vont changer sa vie.

Et... bouleverser la vôtre !

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En librairie !

Une fabuleuse quête littéraire,
amoureuse et de rédemption

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744 pages - CHF 44.- / 44 €

Deux tomes en un volume

— Tu vois, dit-elle en riant toujours, je ne suis pas aussi lourde que tu le pensais.

— Non, tu es légère comme l’amour. Belle comme la vie. Et tes yeux sont bleus comme la mer.

— Tu es un poète, Giles. Même un peu trop, parfois. Cette rime n’est pas à la hauteur.

Son rire éclata dans le vent du soir.

— Pourquoi tu as arrêté d’écrire ? fit-elle plus doucement.

— Parce que, quand j'écrivais, c’est toi qui me tenais la main. À chaque instant !

— J’aimerais que tu écrives encore. Quand je ne serai plus là...

Extrait 1...

Sur la tablette, à côté d’un reste de café froid, ils sont là, certains répandus comme au premier jour, sur la table des «Two Turtles» : sept cent quarante-quatre fragments de papier, pour la plupart griffonnés recto verso, certains rongés par la suie et le souvenir du feu. Pas un de plus, pas un de moins. Je les ai compté cent fois. La dernière nuit où j’ai vu Gyles, quand il a laissé derrière lui - en partant après m’avoir jeté un ultime regard où j’avais cru lire un peu d’espoir - sa vielle serviette de cuir brun avec l’encrier bleu qu’il tenait de sa mère, je pensais avoir hérité des délires de quelque esprit à la dérive. Je pensais que ces feuilles disparates, j'allais les parcourir rapidement, comme on lit le début d’une mauvaise histoire, déjà occupé à trier les débris de sa propre existence, avant de les jeter dans le premier égout venu, ou de les brûler.

Peut-être aurais-je dû.

J’aurais peut-être pu terminer mon recueil, et me concentrer sur cet appareil de photo que m’avait envoyé mon éditeur. « Il faut avant tout des images, des visions, de nos jours », m’avait-il écrit. Des visions, des textes simples, courts, directs. J’aurais sans doute retrouvé un peu de la sérénité que j’étais venu chercher dans ces landes reculées aux fortes saveurs de tourbe et de fumée. Mais depuis, je n’ai plus écrit une seule ligne qui n’ait pas été pas puisée en lui. Plus eu une seule pensée qui n’ait pas été accrochée à la sienne. Je n’ai pas pris un seul cliché qui ne soit lié à son parcours, à ses lieux, à ses incessants allers et retours entre notre monde et le sien.

Je m’étais lancé dans la composition d’un récit de voyage, en quelque sorte. Une suite d’impressions glanées près de ces murs blancs d’Écosse, où l’on extrait le whisky comme on extrait des mines de charbon, en broyant du noir, de quoi se réchauffer le corps. Je voulais vraiment me relancer, dans un domaine qui n’était pas trop exposé. Retrouver le goût d’écrire, de travailler. Retrouver le plaisir d’être lu, apprécié, peut-être. J’avais aimé ça. J’en avais besoin. Tellement besoin. Je voulais retrouver un certain équilibre après les vertiges de la défaite, la vision fulgurante de ma médiocrité, et le départ d’Élise qui m’avait jeté à terre. Mais j’ai très vite su que je ne le terminerais pas. Que la piste que j’allais suivre me mènerait sur un autre continent, dans l’orbite d’une étoile solitaire au loin, qui dérivait par delà l’horizon.

 

Et qu’il me faudrait désormais compter avec lui.

Avec lui seul.

Qu’il prendrait toute la place.

Et que je me fondrai en lui.

Et lui en moi.

Au fil des pages.

Extrait 2...

— Tu es rentré ? Tu aurais pu m’avertir… J’étais inquiète !

La nuit tombait quand Phylis m’a réveillé. En silence, elle s’était changée et avait mangé un dernier reste de pain. Puis elle était revenue vers moi. Elle me trouvait « chaud ».

— Tes bandages ne vont pas comme ça. Il faudra voir demain. Je dois retourner à l’hôpital cette nuit. Vivian est malade et je me suis proposée pour la remplacer.

— Tu repars ?

— Je ne savais de toute façon pas si tu étais là ou non…

— Je suis désolé, ai-je marmonné, la voix encore endormie. Vraiment.

— Ce n’est rien. Juste que je ne savais pas.

— C’est pourtant toi qui me dis que…

— Je sais, m’a-t-elle coupé. Mais voilà.

Elle s’est levée et a pris le journal sur la table.

— Et ça, c’est quoi ? Tu es allé au théâtre ?

— Non, non. Mais…

— Mais ? Tu voudrais ?…

— J’aimerais bien y aller tous les deux, un de ces soirs, si tu veux bien.

— Demain, quand je rentre, il va falloir changer tes pansements. Et s’il ne faut pas aller à l’hôpital, peut-être qu’en fin de semaine ?...

Phylis feuilletait le journal de l’« Imperial »…

— Tu vois, ces noms, je les connais tous. Je t’ai parlé de Frank ? C’est lui.

Elle a hésité une seconde :

— C’est ta vie d’avant…, a-t-elle murmuré en tournant vers moi des yeux qui disaient son émotion.

Presque son inquiétude...

— Oui. Je crois bien que oui.

Elle a posé le journal, puis s’est rendue à l’évier pour prendre un peu d’eau entre ses mains, et se la passer sur le visage.

— Je dois repartir, Gyles. Tu restes là, j’espère ?

— Bien sûr. Je suis avec toi ici. Et je suis bien.

 

Elle ne s’est pas retournée. J’ai senti qu’elle pleurait. Comme si elle réalisait soudain que ma vie passée pouvait à tout moment m’arracher à elle.

 

— Et tu vois, la clé, là…

— C’est chez toi ?

— Prends là ! C’est la clé de mon passé… Du Gyles d’avant ! Je dois vraiment m’y replonger ? Je pensais avoir retrouvé un peu de sérénité. Et puis, il y a toi !

Elle a pris la clé en main, puis l'a rapidement reposée avant de se diriger vers la porte, comme pour éviter mon regard. Son manteau sur les épaules, elle est ressortie de l’appartement.

— Je dois y aller, Gyles. À demain.

 

J’ai entendu se perdre l’écho de son pas dans l’escalier, et me suis jeté sur la petite fenêtre qui donne sur la rue. Elle sortait de l’immeuble en courant…

 

— Je t’aime !

Elle n’a pas dû m’entendre.

Elle a disparu sans se retourner.

Extrait 3...

Le vent de la capitale m’a saisi dès que j’ai mis la tête dans la rue. Plus que la veille, il était vif et piquant, chargé de bruine. C’était jour de marché, comme presque tous les jours ces temps-ci, et l’excitation était déjà à son comble malgré l’heure matinale. Des parfums de toutes sortes montaient des échoppes et des carrioles, faisant presque oublier les odeurs âcres des fumées. Les stands occupaient toute la rue. Industrieuses fourmis en quête de subsistance, les femmes grouillaient tout autour. Étrange cérémonial chaque jour renouvelé. Moi qui ai passé deux ans dans les combles d’un vieil hospice, j’ai été surpris, choqué presque, de retrouver tant de monde et de mouvement.

Mais cette vie-là m’a emporté. Instantanément. Je me retournais sur des chevaux tirant les calèches ; j’échappais aux meutes d’enfants qui couraient partout tels des moucherons affolés, la tête noire de crasse, parfois les pieds nus. Je croisais ces hommes avec leurs hauts-de-forme qui déambulent apparemment sans autre but que d’exister et le faire savoir.

J’ai acheté une pomme et pris un bouillon chaud auprès d’un bonhomme au visage boursouflé de ferrailleur, mais qui vendait… des soupes ! Curieux mélange. Chacun cherche à survivre comme il le peut…

Bientôt, j’ai senti les rues s’élargir, à mesure que j’approchais de ma destination. J’avais déambulé par le travers de Soho, sans autre but que de suivre mes pas et regagner un peu de confiance en mon équilibre précaire. Mais quelque chose guidait ma route, en silence, tapi au fond de moi. Avant deux heures, bien que j’aie pensé à faire demi-tour à cause de douleurs dans le bas du dos, j’étais à l’entrée de Shelton Street. Rien n’a bougé, et mon souvenir était clair. Le mal de dos a disparu comme par enchantement. Je me voyais enfant, courant de long en large un peu partout, sautant dans les bourbiers, évitant à chaque fois les charrettes aux chancelants chargements. Je sentais les effluves de fumier mélangés aux pestilences des usines et distilleries du quartier. Le soleil ne pénètre que rarement dans la rue, et les façades noires et suintantes sont marquées de larges coulées de suie.

 

Je revoyais mon père titubant sur le pavé, hurlant sa rage au ciel vitreux, menaçant le monde de son poing serré, dérisoire.

 

À la croisée, plus loin, entre les hautes maisons, il y avait la lourde pierre d’attache, pauvre borne solitaire contre laquelle le corps désarticulé de ma mère avait terminé sa course, six années auparavant. Je fus saisi d’un violent spasme, et dus m’asseoir sur un étroit escalier de service. D’indicibles émotions sont remontées en un instant, et je suis resté longtemps, pétri de douleur et de tristesse, le visage dans mes mains souillées de larmes.

Quand mes sens m’ont enfin laissé un peu de liberté, j’ai pris conscience qu’une lointaine musique était venue se mêler au vacarme qui résonnait entre ces murs depuis toujours. Une femme chantait. Une voix légère et douce, quelque peu tremblante. J’ai levé la tête. En arrière, au sommet du numéro 24, il y avait une petite fenêtre à guillotine ouverte.

 

Miranda chantait.

 

Je me suis levé, déjà courbaturé, et me suis dirigé vers le trou de souris qui servait d’entrée aux habitants. L’escalier intérieur, qui s’engage à droite d’un tunnel traversant en direction du logement d’en bas, était un vulgaire boyau de pierres noires, luisantes et grasses. Il montait sur huit volées successives de marche, le long d’un mur anguleux. Un escalier pour le paradis, ou l’enfer, selon les jours et les personnes.

On ne choisit pas toujours la couleur de son chemin. D’autres s’en chargent pour nous, plus forts, plus riches, supposés maîtres de leur important destin. Le jour de la paye, chez nous, l’escalier était blanc et rouge, aux couleurs de la fête. Le lendemain déjà, il refoulait des vapeurs d’alcool. Le jour où ma mère est morte, il avait un goût de cendre…

 

Le jour où Shane l’a gravi pour la première fois, juste devant moi, j’ai accédé à la félicité, les jambes tremblant un peu plus à chaque marche.

 

Shane.

Shane !

 

En posant le pied sur la première marche de l’escalier de mon enfance, elle a soudain surgi des tréfonds de ma mémoire.

 

Et j’ai été foudroyé.

À nouveau…

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Plage de Mealastadh, Île de Harris, Écose
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